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Théière Aïo

En 2015 Habitat, réédite le service de table en porcelaine Aio de Ronan et Erwan Bouroullec, projet originellement conçu et vendu en 2000. Cependant, à cette dernière date, le projet fut stoppé en raison de problèmes de production. Cependant, sans modification drastique des formes, le projet est réédité.

Il me paraît nécessaire de dialoguer de l’usage et de l’intention formelle de ce projet. Pour ce faire, je vais m’intéresser exclusivement à la théière Aïo, qui porte en elle l’ensemble des symptômes qui font de ce projet une série d’objets aux intentions bancales. Je vais apporter quelques éléments de réponse à la question : pourquoi cette théière ne fonctionne-t-elle pas ? Je vais avoir recours à une comparaison d’objets du même ordre avant d’analyser l’objet en lui-même.

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22. BOUROULLEC.R et BOUROULLEC.E. Service à thé Aïo, édition Habitat, France, 2000, (Crédit Habitat.fr)

Objet :
Date :
Matériaux :
Dimensions :


Concepteur :
Pays :
Fabricant/éditeur :
Exemplaires vendus :
Lieu d’exposition :

Prix :

Théière
2000
Porcelaine
130mm diamètre, 205mm hauteur
Erwan et Ronan Bouroullec
France, Angleterre
Habitat
-
-
29€ prix de l’édition de 2015




 

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Il est assez clair que ce qui est mis en avant par la forme de cet objet, c’est l’idée d’une pureté formelle incarnée dans des lignes droites, harmonieusement proportionnées et qui exploitent du même coup les qualités plastiques tout aussi symboliquement pures de la porcelaine. L’intention était de proposer une théière la plus sobre possible, à l’allure simple et raffinée. C’est du moins comme cela qu’elle fut vendue et qu’elle est décrite dans les paragraphes de vente d’Habitat.
La pureté de forme ainsi voulue devrait simplement permettre à la fonction d’être pleinement exécutée, rendant l’usage tout aussi simple que le dessin de la théière. Pour illustrer ce principe, je décrypterai rapidement un service de table fonctionnaliste ulmien : le service de table pour collectivité TC100 d’Hans Roericht de 1959 (img23). Basé sur un système d’empilement possible grâce à une normalisation des dimensions, le service offre visuellement une sobriété issue de l’étude des fonctions qu’il est censé remplir. Si l’anse des tasses est ronde, c’est pour y passer l’index, ce qui est strictement suffisant pour la préhension. Si les soucoupes ont une épaisseur élevée et droite c’est pour qu’une fois empilées elles prennent moins de place, tout comme le reste du service. Même les pichets peuvent se superposer sur ces principes, sans que leur préhension ne soit entachée. Visuellement, mais aussi pratiquement ce service est absolument fonctionnel et respecte l’adage du fonctionnalisme : la forme suit la fonction. Il faut admettre que cela permet d’obtenir des objets dont l’usage est satisfaisant et aisément praticable. Quant à la qualité plastique du fonctionnalisme, il me paraît évident qu’il aura inspiré une quantité de designers, comme Jasper Morrison et Naoto Fukasawa ou encore Ronan et Erwan Bouroullec pour leur service Aïo.
Cependant, je ne dis pas ici que le service TC100 est meilleur que tous les autres. Je dis simplement qu’il respecte la totalité de ses engagements ; de ses intentions fonctionnalistes et que ses effets sont par conséquent bons (car ils répondent précisément à l’usage qui sera fait des objets.).
Suite à cela, je peux poursuivre sur mon analyse de la théière Aïo. Je l’ai dit, ce qui transparaît comme intention première dans ce projet c’est la pureté formelle. Ainsi, je suis en droit de penser que par ce prisme d’observation, il a été oublié la notion d’usage, pour privilégier la forme. Cela pourrait ne pas être embêtant en soi si l’objet ne devait pas résoudre un usage commun, mais pourtant extrêmement délicat en pratique. Des objets pop et radicaux, comme le fauteuil Pratone édité par Gufram en 1971 de Gruppo Strum, ont un usage commun (se prélasser ou s’étendre), mais cet usage ne mérite pas de rigueur particulière quant à la façon de le pratiquer. C’est cette souplesse fonctionnelle qui a permis de créer des assises aux formes novatrices dans les années 1970 en exploitant de nouveaux matériaux. Toujours est-il que le Pratone n’a pas un usage complexe, ce qui n’est pas le cas d’une théière. Une théière doit permettre de verser correctement le thé dans une tasse, sans gâcher de liquide. Elle doit être facile à prendre en main pour éviter de potentielles brûlures si jamais le matériau utilisé laisse cette possibilité. On doit pouvoir la remplir facilement, la nettoyer sans qu’elle ne casse. Elle doit résister aux chocs thermiques. Toutes ces contraintes empêchent absolument certaines formes d’être données aux théières.
La théière Aïo est composée de trois éléments : l’anse, le couvercle et le corps où se trouve le bec verseur. La théière a un profil rectangulaire, presque carré. Le bec est situé à une hauteur suffisante pour permettre au thé de couler sans qu’il ne déborde ou que la théière soit trop peu remplie. Ce bec a plusieurs faces droites aux angles finalement assez complexes, mais qui permettent théoriquement un versement correct. Le couvercle lui est préhensible par une excroissance horizontale qui sert de poignée pour pallier le fait que l’anse empêche la préhension de celui par le dessus.
Pour finir, l’anse est haute et juchée sur le corps de la théière. C’est le problème principal de l’objet qui conditionne les autres, comme la préhension complexe du couvercle. Le fait que l’anse se trouve sur le dessus, fait que l’utilisation de l’objet se retrouve plus proche de celui d’un seau que d’une théière. De plus, la finesse de celle-ci rend assez difficile sa préhension : faut-il la tenir tout en haut ou sur le côté ? Comment verser le liquide si le corps en est rempli, car le tout peut être assez lourd par rapport au faible bras de levier qu’offre la position de l’anse ?

Il y a dans cette théière un manque de réflexion sur la fonction qui est essentiellement due à une volonté de simplification des formes, qui finalement complexifie l’usage. Avec ce que j’ai dit, je peux affirmer que la théière Aïo verse mal le thé qu’elle est censée contenir.
Une intention formelle ne peut suffire à faire un objet efficace, puisque la seule forme ne suffit pas à définir un objet. Elle doit être couplée au moins avec une réflexion sur l’usage ou sur des enjeux humains environnant le projet. Sans cela, il est fort probable que le projet provoque une expérience d’usage très désagréable.

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24. BOUROULLEC.R et BOUROULLEC.E. Théière Aïo, édition Habitat, France, 2000, (Crédit Habitat.fr)

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23. Roericht.H, Service TC 100, 1958.

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