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Introduction

La question de l’usage est primordiale et c’est ce qui m’a convaincu d’entamer des études dans le domaine du design. Comment bien faire des objets ? Je me suis beaucoup posé cette question durant mes cinq ans d’études supérieures, sans que quelques réponses particulières n’apparaissent plus évidentes que d’autres. Il n’y a pas de réponses fixes, seulement des postures, des méthodes, des subjectivités qui font faire aux designers ce qu’ils estiment bon.

L’usage n’est qu’une des composantes des designs. Celles-ci sont multiples et bien que beaucoup de concepteurs aient tenté depuis le XIXe siècle d’en décrire le maximum, chaque contexte ne permet d’en compter qu’une maigre quantité. L’importance de ses composantes varie selon l’époque et les enjeux de celle-ci. Je pense toutefois qu’il en existe un certain nombre qui soient profondément liées aux designs contemporains et qu’il est nécessaire de les réévaluer, afin de mieux me situer personnellement en tant que jeune designer.

Avant d’élaborer un schéma des liens que ces composantes (que je crois au cœur des designs) entretiennent entre elles, il convient de les définir :


 

«Un flacon de vitamine devrait distribuer les pilules une par une.
Une bouteille d’encre ne devrait pas se renverser. Un emballage en film plastique contenant de l’épaule de bœuf fumée devrait supporter l'eau bouillante.»

C’est avec ces mots que Victor Papanek illustre «l'Utilisation», premier point des cinq qui composent selon lui la pensée design, dans Design for the real world en1971. (Mercure de France. Paris, édition française, Design pour un monde réel,1974, traduction R.Louit et N.Josset.)

Projet

Je définis le projet comme l’ensemble matériel et immatériel d’une réponse-hypothèse à un problème

Posture

Je désigne par posture toutes méthodes, conduites et convictions permettant l’élaboration de projets diversifiés, répondant  à des problèmes tout aussi variés.

Fonction

Je définis la fonction d’un objet comme la prévision par le designer de ce que l’usage de celui-ci doit être.

Problème

Je désigne par problème toutes situations qu’un individu estime insatisfaisantes au regard de ses propres attentes matérielles, sociales ou politiques.

Forme

Je définis donc la forme comme témoin de cette prévision. À ce titre, forme et fonction font entièrement partie de l’intention du designer.

Intention

Je désigne par intention toutes réflexions et idées prévisionnelles quant à l’effet désiré du projet.

Usage

Je définis l’usage comme étant la manière dont l’objet est interprété et utilisé par les individus touchés, indépendamment ou non de l’intention du designer.

Effet

Je désigne par effet toutes conséquences d’ordre usuelles et interrogatives observables sur les individus touchés par le projet.

Je peux me permettre à présent de proposer un schéma qui relie entre elles ces composantes.
D’abord, ce qui commence un projet design c’est un problème choisi parmi d’autres, par une personne ou un groupe qui estime pouvoir et devoir y répondre. L’intention permet à ce groupe de choisir les moyens pour produire une réponse matérielle (entendre par matériel tout autre support que le discours oral). Ensuite, cette matérialité est livrée à autrui. Les personnes bénéficiaires s’approprient le projet et en subissent les effets ; les bienfaits, mais aussi les potentiels méfaits.
Il me semble légitime de penser que dans ce schéma la posture précède l’intention. En effet, puisque je considère la posture comme étant l’adoption d’une méthode de pensée particulière, parfois en opposition à la pensée commune, celle-ci est nécessairement première dans un projet, quand bien même elle ne serait pas clairement exprimée dans celui-ci. Ainsi, une posture, à moins d’être totalement clarifiée, reste moins visible que sa répercussion qui est l’intention. Cette dernière est à la fois dépendante des convictions des designers, mais aussi des enjeux particuliers du problème choisi. Une posture ne suffit pas à élaborer un projet.
Donc, l’intention est la résultante de cette dernière et du problème. Jusqu’ici, les différents facteurs du projet étaient en grande partie délibérément choisis par les designers (hormis les potentiels enjeux cachés du problème). Seule la dernière étape du projet, la plus décisive quant à l’évaluation de celui-ci, ne leur appartient plus. L’effet est la conséquence des trois points précédents sur les individus touchés. Il n’appartient pas aux designers (dans un premier temps) de décréter que les effets de leurs projets sont bons, car c’est aux usagers d’en faire l’expérience. Toutefois, avec du recul ceux-ci peuvent revenir sur leurs intentions, les clarifier ou les nier, dans le cas où les projets auraient eu des effets trop différents de ceux prévus.

Ce qui m’intéresse dans ce schéma de la production de designs, c’est la notion d’efficacité. Autrement dit, je cherche à évaluer et à comprendre la pertinence et la justesse d’un projet. J’espère que cette compréhension me permettra de mieux concevoir et de penser une posture que je définirais pour moi-même au regard des analyses qui suivront.
Pour ce faire, je vais étudier la portée théorique, productive et usuelle de certaines postures de design au travers de différents projets situés majoritairement entre le milieu du vingtième siècle et aujourd’hui. Ces études seront croisées avec des constats contemporains, des textes et d’autres projets. Par souci de cohérence et pour réduire le champ de sélection des objets, ceux-ci proviendront essentiellement du domaine domestique, où il est plus aisé pour moi d’expérimenter, de manipuler et de me projeter dans les objets étudiés. L’objectif est de proposer une sélection diversifiée de laquelle ressortiront différents éléments de réponse à ma question. Aucune des études sur les projets choisis ne se veut exhaustive.  

Dans les analyses qui suivront, je m’attacherai donc à développer et à analyser les effets par rapport à leurs intentions, ainsi que les motivations des postures initialement prises par les designers. La question que je cherche à éclaircir par et pour moi-même est la suivante :

 

Comment adopter et mener une posture en design aujourd’hui ?

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