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Technological dreams series no.1 robots

L’interrogation sur l’évolution des interactions que nous entretenons avec les fonctions est fondamentale en design. Un objet qui ne propose ni relecture, ni interrogation quelconque sur sa propre fonction ne serait qu’une copie d’un autre. Nous sommes entourés de ce type d’objet que je qualifierais d’insignifiants au sens propre. Je suis persuadée que la posture prospective est absolument lucrative et nécessaire aujourd’hui, dans la mesure où elle se définit comme telle sans ambiguïté. D’après Catherine Geel, historienne et théoricienne du design, le design critique contemporain a pris la place vacante interrogative qu’avaient laissée les radicaux à la fin des années 1980. Des chercheurs comme Fiona Raby et Anthony Dunne sont aujourd’hui des personnalités essentielles au design prospectif et critique contemporain. Au travers de multiples projets, ils ont questionné l’avenir technologique des usages sous l’angle du relationnel à l’objet et à l’environnement. Leurs postures de recherches particulières sont difficiles à définir clairement et pour espérer y parvenir, je vais m’attacher à l’étude du projet Technological dreams Series : NO.1, Robots, de 2007.
Cette série de robots domestiques, qui fut d’abord une commande du curateur Jon Bolen de Z33, présente quatre objets technologiques aux propriétés étranges et aux fonctions tout aussi particulière.

«Le pari de Dunne & Raby est exactement celui-ci, retrouver des terrains “vierges” et “aventureux” et le signifier. L'arrivée d’un design critique marque bien le problème que vont avoir les designers à maintenir le lien avec un design qui était de toute façon critique et correspondait finalement à ce que les modernes tout en le craignant avaient mis en place[...]»

Catherine Geel dans Le design, essais sur des théories et des pratiques, 2013 . Institut français de mode. Paris, édition 2013,  sous la direction de Brigitte Flamand, 2013.

D’abord, il est important de clarifier le terme «robot» qui est au cœur de ce projet. L’imaginaire collectif a durant le milieu du vingtième siècle associé le robot à un être plus ou moins humanoïde capable d’effectuer des calculs et des actions mécaniques plus ou moins complexes. Originellement, le terme «Robot» est extrait de l’acronyme «R.U.R» (Rezon’s Universal Robots) de Karel Čapek, concept désignant des «machines à l’aspect humain capables de parler et de se mouvoir». Cependant, Robot est lui issu de «Robota», mot tchèque désignant un travail difficile, un labeur, un travail d’esclave. Le robot est donc originellement pensé comme une machine esclave destinée à servir l’humain.
C’est exactement ce que sont devenus les robots réels : des machines perfectionnées destinées à l’accomplissement de tâches difficiles et rébarbatives. À partir du milieu du vingtième siècle, l’avènement du plastique et de l’électronique a fait apparaître, tant dans nos usines que dans nos foyers, de multiples robots (non-humanoïdes) ; cuisiniers, mécaniciens et aujourd’hui chirurgiens et bipèdes militaires. Il ne faut pas oublier, que malgré leur forme et leur petite taille, un ordinateur ou un smartphone sont eux aussi en un sens des robots : capables de communiquer et de calculer. Seul le mouvement ne leur est pas donné, mais celui-ci n’est pas essentiel pour définir un robot contemporain : nos robots quotidiens sont encore assez loin d’un C-3PO. Contrairement au sens de «Robota», ils ne sont plus que des outils destinés à quelques tâches précises dont ils ne peuvent sortir. Je pourrais citer ici les travaux de Georg Wilhelm Friedrich Hegel sur la dialectique du Maître et de l’Esclave dans La Phénoménologie de l’Esprit, de 1807, en considérant la technologie contemporaine comme la maîtresse de notre quotidien, là où elle fut originellement développée pour en être l’esclave. C’est exactement sur cette relation d’interdépendance étrange entre l’humain et la technologie que Dunne et Raby positionnent leurs interrogations en 2007.
Technological dreams series : No. 1, Robots, présente donc quatre êtres technologiques.
Le premier est doté d’une indépendance de mouvement, mais est phobique des ondes sonores fortes. Le second est misanthrope, il a peur des humains qui s’approchent trop près de lui et lorsque cela arrive, il est pris de convulsions. Le troisième, est soucieux de la sécurité de données numériques de son propriétaire de façon presque paranoïaque et a besoin d’observer longuement ceux qui souhaitent accéder à ces données. Enfin, le dernier objet est doté d’une puissante force de calcul, cependant, il est incapable de bouger par lui-même et devient dépendant à l’affection, comme un nourrisson. Ces robots, qui forment presque un peuple domestique aux fonctions indéterminées et indéterminables, semblent pourtant avoir été conçus dans un but particulier : but qu’ils sont maintenant incapables d’accomplir en raison de leurs problèmes techno-psychologiques. Ils ont tous besoin que leur propriétaire se comporte d’une certaine façon avec eux.
Mais ces dérèglements psychologiques ont pour conséquence l’apparition de fonctionnalités pratiques pour l’humain : par exemple, le premier indique la zone la plus silencieuse de la pièce. Le second et le dernier ont besoin respectivement de rester seul sous peine de se transformer en alarme inarrêtable, ou au contraire d’être accompagné et balader en permanence comme un compagnon domestique servant de réceptacle affectif pour l’humain. Il est assez évident que l’interdépendance entre nous et notre technologie est le fond du projet.

Maintenant que les enjeux et les questionnements de celui-ci ont été éclaircis, il me faut analyser sa forme : quels sont les moyens mis en place pour expliciter les interrogations affectives et technologiques des auteurs ? Il faut noter que ce projet n’apporte pas de réponse en soi, car son intention est l’interrogation en elle-même.
D’abord, le projet se compose de trois parties distinctes qui sont toutes nécessaires à sa compréhension. Une note d’intention qui détaille la question de la relation entre humains et robots, ainsi que les caractères des robots créés. Ensuite, il y a une vidéo qui montre une femme qui utilise ces êtres, déclenchant ou répondant à leurs (ré)actions. Et pour finir, il y a les objets matériels.
Le texte ouvre aux interrogations du projet ; interrogations et psychoses robotiques que j’ai déjà détaillées. La vidéo permet elle de faire valoir plus clairement les modes d’interactions nécessaires à l’activation des robots. Avec celle-ci, il est mis en évidence qu’ils sont à la fois dépendants physiquement de l’humaine, par son action ou son inaction (n°2 et n°4), mais aussi actifs malgré eux par leurs spasmes et déplacements (n°1 et n°3). Cela permet d’accepter que ces objets fonctionnent, qu’ils existent en dehors du texte et qu’en eux est enfermée une technologie précise destinée à les faire agir ou réagir. Peu importe que ce soit véritablement le cas, puisque la vidéo y fait croire. Le projet démontre sa véracité en montrant le corps des objets, matière usinée, lisse, texturée et dessinée. Ces objets semblent présents, existants et technologiques.
En tout cas, ils existent comme tels dans leur cadre qui est l’exposition muséale. Puisque mis hors contexte, ces objets sont sans aucun doute inactifs. Seul le cadre de présentation, fait croire au réel. La vidéo, les images, l’esthétisme des objets est empli d’une émanation science-fictionnelle, entre le cinéma de série B hollywoodienne des années 1960 et les romans d’Orwell et Huxley. L’aspect lisse, propre, sobre des objets leur donne un caractère futuriste, mais en même temps référencé à certains mobiliers daté des années 1970. Le N°4 me fait notamment penser au téléviseur Continental Edison de 1972 (img30).

Technological Dreams series fait habilement appel à un imaginaire fort de la science-fiction pour matérialiser des concepts et des interrogations. C’est là la force des propositions de Dunne et Raby ; chacun de leur projet ne se contente pas simplement de décrire des objets fictionnels appartenant à un futur lointain comme pourrait le faire un livre ; ils les fabriquent et les rendent contemporains, vrais, presque à la manière du cinéma, à la différence que l’on peut voir les objets dans leurs trois dimensions. Ainsi, les quatre robots sensibles, deviennent des produits de design critique pertinents, sortis du simple discours anticipatif.
Pour moi, c’est cela qui définit la posture du couple d’artistes designers. Il s’agit d’une posture prospective-réaliste dont l’intention est de donner forme au futur, du moins à celui qu’ils souhaitent montrer, pour favoriser l’interrogation de nos actes contemporains. L’effet d’une telle intention menée dans le cadre d’une exposition ne peut qu’être efficace selon moi, car en proposant cela, ils projettent instantanément dans la réalité du spectateur ce futur et les questionnements qui lui sont associés.



 

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29. DUNE & RABY, Technological dreams series no.1 robots, 2007.  (Crédit Thibaut Voisin)

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Concepteur :

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Fabricant/éditeur :
Exemplaires vendus :
Lieu d’exposition :

Prix :

Concepts de robots domestiques.
2007.
Robot 1 : Mousse polyuréthane haute densité peinte en rouge, façonnée par fraisage à commande numérique, pieds métalliques à roulettes.
Robot 2 : Mousse polyuréthane haute densité façonnée par fraisage à commande numérique, peinture résine époxy noire, 4 disques en plexiglas.
Robot 3 : Chêne anglais et plexiglas.
Robot 4 : Mousse polyuréthane haute densité façonnée par fraisage à commande numérique, support en chêne monté sur roulette, cordage en nylon tressé avec embout en plastique.
Robot 1, 100mm hauteur, 900mm diamètre.
Robot 2, 500mm profondeur, 500mm diamètre.
Robot 3, 390mm hauteur, 200mm largeur, 933mm longeur.
Robot 4, 750mm hauteur, 150mm largeur, 480mm longueur.
Dunne & Raby.
Angleterre
Dunne & Raby.
-
Moma New York.
-


 

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28. DUNE & RABY, Technological dreams series no.1 robots, 2007. (Crédit http://dunneandraby.co.uk)

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30. Televiseur Continental Edison, 1972. (Crédit https://www.20th.ch/mobilier_design_vintage_vendu.htm)

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