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Chaise M400

J’ai vu pour la première fois cette chaise au Musée d’art décoratif de Paris en 2016, lors de l’exposition «Le design en mouvement», rétrospective sur le travail de Roger Tallon. Bien qu’il ne s’agisse pas de l’un de ses projets phares, comme l’Escalier M400, il me semble que les chaises Modèle 400 de Roger Tallon font partie de ces objets particuliers qui témoignent étrangement de l’ensemble de la pratique et de la posture d’un designer.
Un seul élément de cette chaise suffit à déterminer la posture que Roger Tallon a pu mener dans les années 1960. Mais avant de poursuivre sur cet élément, il est important de souligner ce qui fait du reste de cette chaise un dessin anecdotique.

Lorsque l’on regarde une chaise, même de loin, nos yeux se dirigent généralement sur l’assise, car c’est là que nous finirons par être. Ainsi, le piètement est perçu légèrement après celle-ci, ce qui induit souvent qu’il soit travaillé de façon différente. De plus, celui-ci est une pièce structurelle qui, s’il est mal conçu, rend la chaise inutilisable. Or ici, le piètement semble à première vue plus travaillé que le reste de la chaise. Avec des yeux contemporains, ce piètement est tout à fait reconnaissable comme une marque formelle, stylistique de son époque. Simplement parce que ce type de pied a été durant les années 1960 jusqu’à la fin des seventies utilisée à de nombreuses reprises dans le domaine mobilier ; la Ball Chair d’Eero Aarnio, la Chaise Tulipe d’Eero Saarinen, ou même les lampadaires Panthella de Verner Panton (img11), ces objets utilisent tous cette forme d’évasement, qui s’affine depuis la base vers le haut.

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10. TALLON.R. Chaise M400, 1966. (Crédit site de vente aux enchères cornettedesaintcyr.fr)

Cette forme n’est pas non plus sans rappeler les modèles visuels des démonstrations sur la relativité générale et des trous noirs, théories scientifiques qui ont été démontrées très largement entre 1940 et 1970. Cependant, la Modèle 400 a cette particularité par rapport aux autres objets cités, qu’elle a pour base un carré et non un cercle. Toutefois, ce piètement, au regard de son époque, est absolument banal et sans but autre que le maintien de la chaise par une forme appréciée dans le contexte de sa création. Je souhaite montrer ici que ce n’est pas par son piétement, ni même finalement par la forme de son assise qui pourrait être qualifiée de standard, que cet objet se distingue et valorise la posture qu’a tenu dans de nombreux projets Roger Tallon.
Le point important, le seul à vrai dire, est l’utilisation de mousse polyuréthane sur l’assise et le dossier. Pourquoi l’usage de cette matière fait à elle seule, selon moi, la manifestation de la posture du designer dans les années 1960?
Roger Tallon fait partie de ceux qui ont été bercés par l’idéal industriel et l’évolution technologique du milieu du vingtième siècle. La très large majorité de ses travaux sont le fruit de collaboration entre industriels et entreprises multinationales. Il a, tout au long de sa carrière, érigé l’industrie, ses techniques et ses moyens comme un outil lui permettant une approche concentrée entre fonctionnalisme et actualité plastique et technologique. On notera toutefois que certains projets, comme le Siège portrait de César, de 1966, témoignent d’une volonté artistique liée surtout au contexte culturel de l’époque, alors que R.Tallon fréquentait le cercle des nouveaux réalistes.
L’utilisation dans la Modèle 400 de mousse originellement utilisée dans les blocs d’enceinte, dans les mallettes de transport et en isolation acoustique, témoigne de l’attachement qu’à Roger Tallon aux matériaux industriels et à la recherche usuelle. Il détourne, ou plutôt réadapte un matériau créé pour un usage secondaire (isolation, protection) pour en faire une assise à l’aspect confortable et mensonger, ce qui fait de la M400 un objet vacillant entre usage et trucage.
Premièrement, il faut l’avouer, dès lors que je vois ces chaises moussées, je n’ai qu’une envie, c’est de savoir à quel point est-elle confortable, agréable. C’est uniquement sur cette matière que le designer compte faire un objet souple et tendre, qui se distingue des autres assises de la même époque. Ici, la forme donnée à la chaise n’a pas de sens particulier. C’est d’autant plus vrai que Tallon a décliné ce principe sur plusieurs modèles de chaises, fauteuils et chauffeuses, reprenant son propre code black and chrome, où seule la mousse acoustique compte comme attrait visuel et plastique.
Deuxièmement, il faut souligner l’aspect mensonger du matériau, car bien qu’en apparence confortable, il est aisé de comprendre que l‘épaisseur et la densité de celui-ci ne suffisent pas à maintenir cette sensation souple plus de quelques secondes après s’être assis. Je vais simuler par l’écrit les sensations que procure cette matière :
D’abord, il y a un contact chaud, suivi instantanément d’un léger affaissement puis d’un contact rapproché avec la structure de l’assise en aluminium. La mousse comprimée entre le corps et la structure est maintenant moins moelleuse qu’à la première seconde. Ces sensations se répètent lorsque le dos s’applique au dossier. Il faut ajouter que la tranche du haut de l’assise peut être désagréable si l’on s’y enfonce trop vers l’arrière, mais cela dépend des modèles de la M400, car certains sont pourvus d’accoudoirs et d’un dossier rabattu en L inversé sur le haut. Cette simulation met en évidence le caractère faux du matériau ; il est séduisant, satisfaisant à l’œil, tout comme le pied finalement, mais n’a qu’une fonctionnalité confortable relative.
La M400 est presque un objet mensonger qui a été créé ainsi consciemment, dans le but de tester et d’élaborer de nouvelles façons d’utiliser un matériau aux propriétés particulières. Elle nous ment, mais seulement parce que nous avons la candeur de la croire. Ce n’est pas sans rappeler l’étrange escalier Modèle 400 de 1966, qui par sa structure autoportante, donne une impression de fragilité, d’instabilité alors qu’il est tout à fait solide et droit. Beaucoup de projets de Roger Tallon ont une touche d’incertitudes volontaire, qui est très certainement due à son intérêt pour l’art de son époque. Il faut ajouter comme exemple le projet siège Zombies de 1967 (img12), sorte de chaises aux contours humanoïdes et mutilés, affublées d’une cible colorée.

Je définis la posture du designer, au regard de ces objets, comme étant industrielle-chercheuse : manifestement industrielles quant aux procédés utilisés, mais résolument curieuse et parfois même énigmatiques quant aux esthétiques et aux intentions apportées aux projets. Il y a dans la M400 toute la séduction, l’incertitude et l’interrogation qui pouvait animer les projets de Roger Tallon dans les années soixante.
Avec ce type d’objet, le designer met en avant sa vision du métier et ce que son domaine doit selon lui apporter aux sociétés dans lesquelles il intervient. C’est évidemment le cas de beaucoup de designers qui cherchent à expliciter ce qu’ils pensent être juste, par rapport à leurs convictions ou leurs carrières, au travers des projets qu’ils conçoivent. La seule voie de la séduction plastique n’est cependant pas suffisante pour répondre aux besoins contemporains de plus en plus complexes.



 

Objet :
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Prix :

Chaise
1966
Aluminium poli et mousse acoustique polyuréthane
880mm hauteur, 390mm largeur, 400mm profondeur
Roger Tallon
France
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Musée des Arts décoratif, Paris
Enchères moyennes à partir de 2000€




 

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11. PANTON.V. Lampadaire Panthella,1971, (Crédit site de vente design-market.fr)

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12. TALLON.R. Sièges Zombie, 1967. (Crédit site de vente jousse-entreprise.com)

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