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Animali Domestici

Animali domestici est pour moi un projet design assez énigmatique. Il s’affranchit d’une telle quantité de critère de la modernité du début sur XXe qu’il est difficile d’y voir autre chose qu’un discours sur cette dernière. C’est d’ailleurs ce discours, que l’on peut qualifier aujourd’hui de post-moderne, qui a couvert l’essentiel de la carrière d’Andrea Branzi dès 1969 avec Archizoom. Nous allons essayer au travers de l’exemple d’Animali Domestici, de comprendre comment la posture d’Andréa Branzi contre la modernité a-t-elle perduré dans le temps ?
 

«[...] il n’en reste pas moins que les designers ulmiens et les designers radicaux ont en commun qu’être designer, c’est avant tout adopter une posture : être designer sur le mode de l’engagement, même si les modes opératoires diffèrent et partagent deux autres faits d’importance. Ces deux mouvements proposent une vision politique de gauche, qui ne condamne pourtant pas la société de consommation.»

Catherine Geel dans Le design, essais sur des théories et des pratiques, 2013 . Institut français de mode. Paris, édition 2013,  sous la direction de Brigitte Flamand, 2013.

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18. BRANZI.A, Banc de la série Animali domestici, 1985. Dépôt du Centre national des arts plastiques au MAMC – Ministère de la Culture et de la Communication, 2007. (Crédit Adagp, Paris)

La posture de Branzi a toujours été celle de la remise en cause de la modernité et de la recherche de démonstrations capables de provoquer la destruction de ce dogme. Nous pouvons le voir dès ses travaux avec Archizoom. No-stop city, projet qui ne cesse d’être cité aujourd’hui, présentait non pas la vision d’un futur où la modernité aurait été poussé à son paroxysme, mais la conséquence déjà visible en 1969 de l’uniformisation causée par cette dernière. Cette uniformisation était visible, surtout en architecture où la grille et la normalisation des formats d’habitat présageaient une évolution plus drastique encore si elle se poursuivait. C’est ce qu’ont essayé de contrer les groupes radicaux italiens en proposant des projets exploitant presque caricaturalement les règles modernes, comme avec la surexploitation de la grille avec Monumento Continuo de Superstudio en 1969. Plus tard, d’autres projets vont proposer de nouveaux modes opératoires de création. Ceux-ci vont permettre la fondation en 1980 du groupe Memphis, dans lequel Andrea Branzi trouvera une place de choix. Un nouveau dialogue avec la modernité s’ouvre, où il n’est plus question de la caricaturer et d’en montrer les dérives, mais de la contrer directement par la forme. C’est dans ce contexte qu’en 1985 Branzi, en voulant s’affranchir du nouveau registre Memphis grandissant, va produire la série Animali Domestici.
Il défend cette série comme l’instauration d’un nouvel archétype d’objets, différenciés comme des individualités uniques, semblables pour l’humain à des animaux domestiques. Ainsi, plus qu’avec ses productions pour Memphis, comme la Gritti bookcase de 1981, A.Branzi met en avant sa réflexion valorisant la relation entre l’humain et l’objet au-delà du fonctionnalisme. Pour lui, cette relation est floue, personnelle et chacun doit la comprendre avec sa propre expérience. Pour matérialiser ce propos, il conçoit des assises entre industries techniques (laques, formes rigides rappelant les volumes de Memphis, mais aussi les architectures modernes) et assemblages différenciés exploitant des branches de bouleau. Ces branches ne sont pas un appel à la nature, mais un moyen visuel de provoquer une identité propre à chaque objet de la série et à chaque modèle édité.
Cela c’est l’intention du projet. Cependant, la posture reste la même que celle adoptée pour les projets Memphis : contrer la modernité par la forme, la plastique décorative qui permet un dialogue émotionnel dépourvu de considérations totalement usuelles. Les assises Animali domestici n’ont pas pour but de remplir une fonction, de servir un usage : elles sont sculpturales, présentes, existantes en tant qu’objet-individus. C’est une pensée tout à fait proche des objets du groupe Memphis ; pensée visible dans la bibliothèque Carlton d’E.Sotssas, qui, bien que fonctionnelle structurellement, sera utilisée comme décor, comme objet sculptural affranchi de contexte usuel (on n’y dépose pas de livre, on la pose dans une galerie ou un salon pour qu’elle y soit elle-même.). Le mobilier (re)acquiert un statut sculptural, statut que le modernisme lui avait fait perdre. Je pense notamment au mobilier de styles pré-industriels et à ces objets d’usages anciens mais terriblement esthétisés et symboliques (commodes second-empire, miroirs aux cadres sculptés). Je pourrais aussi ajouter à cette pensée comparative le mobilier Art nouveau, qui reprenant le registre végétal faisait d’un escalier ou d’une tête de lit une sculpture de bois biomimétique. Il en va de même pour les assises particulières d’A.Branzi, qui bien qu’elles offrent les caractéristiques d’une chaise, d’un banc ou d’un fauteuil, n’invitent que peut à s’y asseoir, si ce n’est pour tester la solidité du dossier assemblé en branches de bouleau. De plus, le fait que cette série soit réalisée en édition très limitée, démontre une volonté plus proche de la présentation en galerie que de la conception d’usage. Neuf pièces par modèle suffisent à démontrer qu’il est possible de les fabriquer en série, tout en spécifiant qu’elles seront toutes uniques. Mais c’est un nombre insuffisant pour prétendre à un statut d’objet commercial destiné à être usé et utilisé dans une cuisine ou une salle à manger, ce qui à mes yeux ne peut pas permettre de faire de ces objets des archétypes, comme le prétend A.Branzi.
Il continue aujourd’hui d’élaborer ce genre d’objets, sur le même registre qu’Animali Domestici. En 2015, il édite à la Galerie Carpenter workshop, trois modèles Plank Cabinet, chacun en 12 exemplaires (img19). Ces meubles de rangement ne sont qu’une réinterprétation lointaine des travaux effectués en 1985. C’est aussi le cas pour le Service à thé Silver and wood pour Argentaurum de 1997. Je ne peux m’empêcher de penser que dans la forme de ses objets, qui ne sont parfois pas affranchis de fonctions praticables, il y a encore une exploitation des principes structurels modernes ; des lignes rigides, des verticales, des angles droits, qui ne s’éloigne pourtant pas visuellement de ce qui a pu être produit avec Memphis.
Andrea Branzi a su longtemps garder sa démarche anti-moderne, mais au fil des productions je sens personnellement un essoufflement, comme si le registre qu’il avait lui-même créé était devenu une nouvelle forme de standard, pour lui, mais aussi pour une quantité d’autres designers. Sa posture d’avant-garde se serait alors lentement dissoute dans le design contemporain et aurait été enfermée dans la galerie.

Pour finir, si les projets des radicaux des années 1968 sont de nouveau observés avec attention, c’est sûrement parce qu’ils (re)trouvent enfin un écho sentimental et analytique dans la situation dans laquelle les designers se trouvent aujourd’hui : une situation totalement incertaine, où les grandes figures contestataires ont fini par formuler ce qui fait des designs aujourd’hui des champs qui ont du mal à sortir de celui de la décoration et de la publication sans effets humains, économiques ou politiques. Réétudier ces projets d’avant-garde nous permet de mieux comprendre les enjeux des designs contemporains en observant ce qui l’a produit.



 

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19. BRANZI.A, Plank cabinet 8/2104.Carpenters workshop gallery, France, édition 2015, (Crédit carpentersworkshopgallery.com)

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Exemplaires vendus :
Lieu d’exposition :

Prix :

Mobiliers d’assise
1985
Bois laqué et branches de bouleau
Divers
Andrea Branzi
Italie
Zanotta, édition limitée signée et numérotée sur 9
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«J’ai cherché à réaliser des objets qui soient des archétypes. Les archétypes impliquent l’adoption d’un langage très simple, typologique, qui peut être reconnu par presque tout le monde. Ils ont la capacité de produire une communication très forte. C’est là leur rôle. Il s’agissait donc pour moi de réaliser une sorte de petite refondation du design en rapport avec cette symbiose entre technologie, industrie traditionnelle et des morceaux de nature, qui se présentent toujours comme des éléments différenciés. Car la chose fondamentale et très, très intéressante de la nature, est que l’on peut avoir un million de pommes, mais que chaque pomme est différente l’une de l’autre. Alors utiliser, par exemple, un petit morceau d’arbre donne à la petite série des “animaux domestiques” une sorte de vibration.(…)»

 

Andrea Branzi dans Andrea Branzi, entretien avec Catherine Geel, 2006. Amateur, collection Transmission. Paris, édition 2006.

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17. BRANZI.A, Banc mod. 5520 de la série Animali Domestici, 1985. dans Repertorio Del Design Italiano 1950-2000, pour l’Arredamento Domestico, Vol. 1, Turin, Umberto Allemandi, édition 2003, p.349. (Crédit Giuliana Gramigna).

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