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Do it chair

«L’exploitation du label Droog Design par ses fondateurs, qui estampillent puis exploitent la démarche des designers hollandais, puis internationaux, est à cet égard intéressante et place le design en plein dans le marché du musée : légitimité et reconnaissance puis succès commercial relatif mais communication maximale.»

Catherine Geel dans Le design, essais sur des théories et des pratiques, 2013 . Institut français de mode. Paris, édition 2013,  sous la direction de Brigitte Flamand, 2013.

 

En vendant un pavé de tôle d’acier inoxydable, livré avec sa masse spéciale, Marijn Van der Poll, proposait à l’acheteur de former manuellement son propre fauteuil. L’objet en lui-même est simple dans sa forme, mais je préciserais tout de même que l’usage d’acier inoxydable le rend supposément pérenne et permet au principe de sculpture par la force de fonctionner sans que le matériau ne casse ou ne résiste trop.

«Do it», c’est à première vue ce qui importe le plus dans ce projet. L’invitation de l’usager dans le processus de fabrication d’objet n’est pas un principe neuf lorsque Marijn Van de Poll crée le sien. Cependant, il ne s’agit pas ici seulement de l’inviter dans la fabrication, mais aussi dans la conception à la suite du designer, rejoignant ainsi les préoccupations de 1974 d’Enzo Mari. À première vue, mettre des coups de masse sur un volume d’acier ne nécessite aucune réflexion. Mais comme il est possible de le voir dans les vidéos qui présentent l’exercice réalisé par le designer lui-même, l’acheteur va théoriquement par instinct chercher à former un siège à sa proportion, en s’asseyant dans les creux formés, en réfléchissant où il doit frapper, formant ainsi le meilleur siège possible. C’est ce qui importe en premier lieu pour lui. Le fait que l’acheteur pense son action, le rend concepteur, au même titre que Van der Poll. Ceci, c’est le discours assez facilement perceptible, véhiculé par le projet. Cependant, cette intention éclairante peut-elle seulement prétendre avoir l’effet escompté dans son contexte d’exposition et de vente ?
L’objet n’est qu’une matière quelconque, arbitrairement vendue comme base pour un siège, cependant hormis l’indication stipulée par le titre que ce cube est destiné à devenir un siège, rien n’oblige l’acheteur à en faire autant. Les proportions du cube pourraient permettre la transformation du bloc en autre chose ; une table basse, un escabeau, ou un cube compact plus petit, peu importe. La masse est presque plus importante que le bloc en lui-même. Le fait qu’elle soit vendue comme seul outil de transformation induit une certaine violence, une force nécessaire, un lâcher-prise savamment maîtrisé et une remise en question de la liberté d’action. Or, si le bloc avait été vendu avec une massette ou un marteau et un burin, la méthode de transformation s’en trouve chamboulée aux yeux de l’acheteur, car des outils plus petits induisent une certaine forme de précision et de maîtrise, qui malgré de possibles erreurs pourraient être rattrapées, là où la masse induit une spontanéité et une irréversibilité. En effet, la masse est le symbole principal du projet : elle est l’expression de la liberté créative, mais aussi son fardeau qu’est l’hésitation. Avant de mettre un premier coup de masse, l’acheteur va douter, réfléchir. Va-t-il faire les choses bien ? Va-t-il détruire le travail du designer ? Cette masse est résolument une interrogation sur le libre-arbitre et le déterminisme. Et comme les projets de design critique, celui-ci ne propose pas de solution à cette interrogation, seulement une expérience et le questionnement en lui-même.

Je parle d’acheteur puisque ce projet a bien été vendu par Droog jusqu’au milieu des années 2000. Le prix importe peu, cependant, il est intéressant de noter qu’actuellement, un volume de matière comme celui-ci coûterait 261.4 € (135.25 kg fois 1.933 € prix au kg de l’acier inoxydable en octobre 2020). Pour avoir le prix complet, il faudrait y ajouter la main d’œuvre de soudure, de polissage ainsi que le prix de la masse faite sur-mesure pour le projet. Le coût serait alors à peu près équivalent au quart du prix de vente du projet en 2000, dépendant bien sûr du nombre d’exemplaires fabriqués et du lieu où ils le sont. Ceci permet juste de souligner que ce projet n’a pas pour but d’être démocratique, ni d’être diffusé à grande ampleur.
C’est avant tout un projet de galerie, intéressant sous l’angle du discours et de la performance comme je l’ai déjà démontré plus tôt. Cependant, en aucun cas, ce projet ne peut être considéré, d’après des paramètres fonctionnalistes ou domestiques. Le projet a d’ailleurs été communiqué comme tel, comme un projet interactif, expérientiel et non comme un produit de vente usuel. Mais il a pourtant été vendu. Il faut noter que Droog répertorie ce projet en deux objets distinct : «Do it chair - unshaped» et en «Do it chair - Shaped», le second étant le produit de l’action de Van der Poll lui-même, élevant l’objet au statut d’œuvre d’art contemporaine et exposée comme telle depuis. En fait, vendre ce produit n’a d’intérêt que l’observation des attitudes des acheteurs quant à la proposition «Do it». J’ai du mal à croire que la majorité des acheteurs de ce projet aient pu lui porter ne serait-ce qu’un seul coup de masse, au risque, comme je l’ai déjà dit, de mal faire. En ce sens, ils passent à côté de l’expérience que propose Marijn Van de Poll. Cela met en évidence l’aspect spéculatif du design de galerie qui a tendance à proposer des objets d’art en édition très limitée qui ne seront que rarement utilisés comme des fonctions pratiques. Le rôle de ces objets est de faire présence, d’exister comme décor. J’ai déjà évoqué ces points dans d’autres analyses.

D’après moi, l’intention de ce projet, à savoir proposer une expérience interrogative sur la liberté de conception, est fondée et sensée. La proposition matérielle témoigne justement de cette intention. Cependant, je remarque que l’effet intellectuel qu’elle produit, qui dans un cadre artistique et performatif est aussi juste, ne peut plus l’être une fois transposé au cadre mercantile du design contemporain, puisque l’interrogation passe au second plan face à la valeur spéculative attribué à l’objet lui-même, alors que ce qui est vendu, c’est l’expérience de cet objet et non sa matérialité. Ce projet pose la question de l’évolution de la valeur financière d’un projet. Que vaudrait actuellement une Do it chair formée par un particulier sur le marché du design ? Sûrement pas grand-chose.


 

Objet :
Date :
Matériaux :

 

Dimensions :

 


Concepteur :
Pays :
Fabricant/éditeur :
Exemplaires vendus :
Lieu d’exposition :

Prix :

Chaise
2000
Acier inoxydable 1mm d’épaisseur, chêne et acier
1000mm largeur, 700mm longueur, 750mm hauteur,135.25 kg
Marijn Van der Poll
Pays-bas
Droog
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Enchères, de  5900 à 7000 € pour un modèle déjà formé.


 

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20. VAN DER POLL.M. Do it chair unshaped, 2000. Droog design, (Crédit site de vente 1stdibs.com)

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21. VAN DER POLL.M. Do it chair shaped, 2000. Droog design. (Crédit fiche technique Droog design)

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