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Open soure initiative

«Les cultivateurs de chanvre ont depuis si longtemps besoin de ce genre d’outils que, dès que je serai certain de son efficacité j’en confierais certainement une description anonyme aux journaux pour parer à son utilisation par quelque preneur de brevet.»

Thomas Jefferson,  cité par Victor Papanek, dans Design for the real world en1971. (Mercure de France. Paris, édition française, Design pour un monde réel,1974, traduction R.Louit et N.Josset.).

The Open Source Initiative, lancé en 1998, a pour but originel la libre circulation des logiciels et des outils de créations informatiques, créant ainsi des licences libres. Une licence détermine les droits et les limites d’exploitation d’utilisation d’un outil informatique. Ainsi, l’objectif de l’open-source est d’effacer toute discrimination économique existantes entre les programmeurs, particuliers, entreprises et acteurs de la création, en rendant public le code source des logiciels créés sous cette appellation. «The open source definition», véritable charte de l’OSI, tant déontologique que manifeste, a depuis le début du siècle permis à de très nombreux projets d’émerger de la collaboration entre programmeurs du monde entier, comme le projet Linux par exemple, logiciel d’exploitation open source à usage totalement libre. L’une des forces de ce principe est sa collaborativité ; n’importe qui peut soumettre des modifications à l’examen de la communauté, qui implantera ces améliorations dans le code si elles sont jugées bonnes. Le fait que ce soit les usagers du produit qui interviennent directement dans son développement et dans son amélioration, fait de l’open-source un modèle méthodologique à suivre en design selon moi.
Aujourd’hui l’open-source est un label communautaire et participatif, prônant l’égalité et la distribution du savoir numérique et des outils informatiques. Cependant, ce modèle de conception n’est valable tel quel que dans le cercle informatique puisqu’il suppose des prérequis contextuels forts. En effet, les codes étant en ligne il est facile de les modifier et de les tester sans plus de modérateurs extérieurs, alors que si on applique ce principe à un FabLab par exemple, l’organisation humaine et logistique devient beaucoup plus complexe. Actuellement, ce qui fait la gratuité des projets open-source est à la fois son principe d’ouverture, mais aussi le fait que la majorité des participants sont bénévoles et contribuent par volonté altruiste ou par amusement aux projets. Il faut noter que quelques business-modèles de grandes entreprises se sont adaptés à cette tendance open-source, en diffusant à leur communauté d’utilisateurs une partie des codes de leurs outils pour en améliorer l’expérience d’usage. Le reste du code reste secret et les licences ne sont en général qu’ouvertes en partie. De mon point de vue, l’exploitation du principe OSI dans un cadre financier, en choisissant uniquement de garder les bons côtés (main-d’œuvre gratuite sous couvert d’amélioration de l’expérience utilisateur) va à l’encontre du principe de 1998.
Toutefois, il reste vrai que pour programmer, il suffit d’un ordinateur et d’une connexion Internet. Ce faible nécessaire contemporain à permis à l’OSI de prendre une ampleur considérable. L’informatique n’est qu’un assemblage de langages qu’il ne tient qu’à nous (jeunes designers) d’apprendre pour participer nous aussi au développement d’outils nécessaires à la création, mais aussi à tous les domaines de la société.  
Le principe communautaire et le libre accès ne sont cependant pas l’apanage de l’open-source. Avec la relative libre circulation de l’information et des connaissances permise par Internet, les vingt dernières années ont vu l’émergence de plateformes collaboratives, de forums et d’outils favorisant l’apprentissage et la mise en pratique collaborative d’un savoir commun, enrichi jour après jour par les utilisateurs. Le designer est alors fondu dans la masse d’usagers-pratiquants, qui deviennent comme dans l’idée de 1974 d’Enzo Mari, instigateurs de leurs propres réponses et questionnements. Les FabLabs, les Makers et les forums en tout genre sont autant des associations supports d’apprentissage et de partage que des lieux de socialisation et de création. Beaucoup d’outils sont aujourd’hui descendants des idéaux de Papanek et de Mari. Certaines entreprises diffusent des hardwares en open-source, comme Prusa qui propose des plans d’imprimantes 3D gratuitement (mais qui vendent aussi leur propre modèle d’après ce même plan.). On pense aussi à l’entreprise Risc-V qui propose des processeurs en open-source, ce qui jusqu’à présent n’avait jamais été fait, alors que les processeurs sont des pièces essentielles d’un ordinateur. C’est seulement aujourd’hui que l’on voit apparaître des structures durablement communautaires et équitables, à la posture résolument sociale, prendre une place confortable dans le paysage culturel, technologique et design. Sous cet angle, l’industrie n’est alors plus vue comme une entité surpuissante intouchable manipulant des concepts hors de portée de l’usager moyen. La production, la conception et la réflexion sur l’objet sont absorbées de nouveau par les personnes directement concernées.
Il est donc évident aujourd’hui que le projet Autoprogettazione est une des principales sources qui ont permis l’émergence des principes d’open-source et du Do it Yourself actuel, bien que ce ne fût pas tout à fait l’intention première d’E.Mari.
Cependant, on retrouve de très grandes prémisses à ce dernier, dès le début du 20e siècle, notamment dans l’École du Bauhaus, ainsi que dans le mouvement De Stijl, où par exemple Gerrit Rietveld réalise du mobilier à partir de bois de récupération, comme le fauteuil Crate que je cite déjà dans une autre analyse. L’école du Bauhaus, fondée entre deux guerres, a eu la lourde charge de proposer de nouveaux moyens de conception et s’est efforcée de poursuivre ce projet malgré le peu de matériels qu’elle avait en sa possession. C’est dans des moyens aujourd’hui communs dans le domaine du faire soi-même que les débuts du Bauhaus se sont faits ; recyclages, récupération, pragmatisme formel et fonctionnel et faible moyen.
On retrouve ensuite, après la Seconde Guerre mondiale de nouveau cette volonté de conception pragmatique, notamment chez Victor Papanek, dans beaucoup de projets, comme Tin Can Radio (img16) ou des projets de manches de couvert en chute cuir présenté dans The Green Imperative (éditions Thames & Hudson, 1995, réimprimé en 2003). Le réusage de matériaux communs est alors au cœur de la pratique du designer, qui a pour seul but la réponse efficace à un problème tel que la communication radio en Indonésie. Reconnu comme père de l’écoconception contemporaine, Victor Papanek n’a eu de cesse de défendre une approche environnementale et durable du projet. On retrouve encore ces principes dans la production de l’éditeur Droog Design, et dans les récents projets du studio français 5.5 qui œuvrent à leur manière pour le questionnement du réemploie et de la durabilité de l’objet, créant des assemblages, des prothèses pour objets cassés, projets qui seront traités dans les analyses suivantes.

Pour finir cette digression, je pense qu’une très grande partie de l’avenir des designs se trouve dans la collaboration, le partage et qu’il ne tient qu’aux designers de plonger dans ces milieux déjà très actifs pour apporter leur savoir et savoir-faire, tout en apprenant. Cela leur permettrait de développer des postures durablement efficaces, enfin je l’espère.



 

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16. PAPANEK.V et SEEGER.G. Tin Can Radio Prototype, 1962. (Crédit https://ecodesignfordesigners.wordpress.com)

My soft office - weekly dinner plate

J’aimerais me servir d’un autre objet de design prospectif pour ajouter une nuance quant aux qualités interprétatives de ces projets.
My soft office - weekly dinner plate est un clavier-assiette proposé par Hella Jongerius dans une série d’objets techno-domestiques dérivés des outils de travail de bureau, en 2001. Sans avoir étudié ce projet, il peut être simple pour n’importe qui d’associer à ce projet visuel des objectifs opposés à ce que la designer avait originellement pensé : à cause d’une observation au travers d’un prisme trop étroit ou incomplet.
Avec un œil novice, sans connaître ni le contexte expositionnel, ni l’intention du projet, seulement en voyant sa matérialité, nous pourrions dire ceci :

Ce clavier d’ordinateur fusionné avec une assiette est un gadget, un outil maladroit, peu pratique pour ceux qui désireraient manger tout en travaillant. L’assiette, fusionnée au milieu du clavier, ne permet pas vraiment de bien y manger.
De plus, les touches du clavier pourraient être très vite couvertes de nourriture, ce qui réduirait sa longévité et assurerait à l’utilisateur de salir tout son poste de travail. Cependant, il y a quelques détails astucieux dans cet objet. La poignée indique qu’il est transportable et donc que chaque travailleur dans les open-spaces amène le sien, ce qui maximise l’hygiène (imaginez manger sur le clavier de quelqu’un qui y a mangé avant vous.). Le coude fait par le clavier à gauche de l’assiette, fait en sorte que les deux mains puissent avoir accès à toutes les touches sans avoir à modifier la position des bras, comme sur un clavier standard. La couleur, rouge ou bleu ajoute à l’objet un ton juvénile qui le distingue du noir et du gris classique.
En un sens tout ce qui précède est juste. Seulement, tous les points qui composent cette critique, y compris les défauts flagrants, ont été faits consciemment, dans une volonté critique et prospective. En effet, Hella Jongerius à réaliser ce projet visuel (non-fonctionnel) pour une exposition organisée par le MoMA de New York en 2001 pour la «Worksphere exhibition», exposition destinée à interroger le travail et ce qu’il pourrait devenir dans un avenir proche. C’est donc dans une logique à la fois de médiation, de satire et de prospection que le Weekly dinner plate a été conçu.

Avec ce projet, je voulais simplement montrer rapidement que l’on peut attribuer une intention fausse, voire tout à fait contraire à la posture du designer, en raison de la mésinterprétation des intentions par rapport à la production plastique. Cette mécompréhension caricaturalement présentée ici est essentiellement due à un manque de contexte. Cependant, il est possible de ne pas saisir tous les enjeux d’un projet, même si son créateur nous en donne toutes les clés.




 

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Jongerius.H. My soft office - weekly dinner plate, 2001. (Crédit Jongeriuslab.com)

Objet :
Date :
Matériaux :
Dimensions :


Concepteur :
Pays :
Fabricant/éditeur :
Exemplaires vendus :
Lieu d’exposition :

Prix :

Clavier d’ordinateur
2001
MDF et polymère paint.
44mm hauteur, 889mm longueur, 222mm largeur
Hella Jongerius
Pays-bas, Rotterdam
Jongeriuslab
-
MoMA de New York
-



 

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31. Jongerius.H. My soft office - weekly dinner plate, 2001. (Crédit Jongeriuslab.com)

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